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15 juin 2023

Tel est pris qui croyait prendre : Procédure UDRP et Reverse Domain Name Hijacking

Dans une décision récente 1 rendue selon les Principes directeurs pour un règlement uniforme des
litiges relatifs aux noms de domaine (UDRP) devant l’Organisation Mondiale de la Propriété
Intellectuelle (OMPI), un panel a refusé le transfert d’un nom de domaine identique aux marques du
Plaignant au motif que celui-ci n’avait pas réussi à démontrer que le Défendeur avait enregistré et
utilisé le nom de domaine litigieux de mauvaise foi. En outre, le Panel a retenu que la plainte du
Plaignant constituait un acte de Reverse Domain Name Hijacking dans la mesure où ce dernier savait
ou aurait dû savoir qu’il serait incapable de prouver l’enregistrement et l’usage de mauvaise foi du
nom de domaine litigieux par le Défendeur.

Contexte

Le Plaignant est la société américaine DNVB, Inc. fondée en 2014. Elle conçoit et vend notamment
des chaussures exclusivement sur son site internet thursdayboots.com enregistré initialement le 9
juin 2014. Le Plaignant a également développé un portefeuille de marques « THURSDAY » avec une
première date d’usage dans le commerce revendiquée au 1 er octobre 2014.

Le nom de domaine litigieux <thursday.com> a été initialement enregistré le 21 février 1996 et a été
acquis par le Défendeur le 6 juillet 2011 pour la somme de 40 000 dollars américains. Il renvoie vers
un site internet intitulé « Thursday » et indique « Enter Store Using Password ».

Le Défendeur utilise le pseudonyme « @Thursday » sur Twitter depuis le mois d’août 2013, ainsi que
sur Instagram. Il a également fait plusieurs tentatives, en 2011, 2013 et 2017, auprès de l’Office
américain des marques (USPTO) pour enregistrer la marque THURSDAY en lien avec les services de
vente au détail en ligne notamment de chaussures.
Rappelons que pour obtenir gain de cause dans une plainte déposée en vertu des principes de la
procédure UDRP, le Plaignant doit satisfaire les trois conditions suivantes :
(a) Le nom de domaine enregistré par le Défendeur est identique ou similaire au point de prêter
à confusion à une marque sur laquelle le Plaignant détient des droits ;
(b) Le Défendeur n’a aucun droit ou aucun intérêt légitime en lien avec le nom de domaine
litigieux, et
(c) Le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

1 Case No. D2023-0532, 03.05.2023, DNVB, Inc. d/b/a Thursday Boot Company v. Larry Angell, ZombieCorp LLC
(aka Uncrate LLC)

Décision
(a) Identité du nom de domaine litigieux
Le Plaignant a apporté la preuve qu’il détenait des droits de marques enregistrées sur le signe
THURSDAY et le nom de domaine litigieux est identique à la marque du Plaignant.
Cette condition est donc satisfaite.
(b) Droits ou intérêt légitime
Précisons tout d’abord qu’à partir du moment où le Plaignant a établi que, de prime abord, le
Défendeur n’avait ni droit ni intérêt légitime, il y a un renversement de la charge de la preuve et il
revient alors au Défendeur d’apporter la preuve de son droit ou intérêt légitime en rapport avec le
nom de domaine litigieux.
Le Panel rappelle utilement que les moyens de défense visant à démontrer un droit ou un intérêt
légitime sur le nom de domaine, tels qu’ils sont énumérés dans les Principes directeurs, ne sont pas
exhaustifs. D’autres moyens de défense sont donc possibles et peuvent être pris en compte par le
Panel.
En outre, les Principes directeurs n’exigent pas que le Défendeur détienne des droits de marques
pour que la condition de l’usage dans un but légitime soit remplie. Ainsi, le fait que le Défendeur n’ait
obtenu l’enregistrement d’aucune des marques THURSDAY qu’il avait déposées est indifférent.
Au regard des différents éléments, le Panel retient donc que le Défendeur a apporté la preuve d’une
intention d’usage du nom de domaine litigieux depuis au moins 2011, et un possible usage légitime
pour un site protégé par mot de passe depuis 2013, c’est à dire avant l’existence du Plaignant. Il note
également qu’il n’existe aucun élément démontrant que le Défendeur aurait ciblé le Plaignant par
l’usage de son nom de domaine ou qu’il aurait modifié l’usage du nom de domaine litigieux en
réponse au Plaignant ou à ses marques.
(c) Enregistrement et usage de mauvaise foi
Il est clairement démontré que le Défendeur a enregistré le nom de domaine litigieux et a cherché à
obtenir les marques correspondantes auprès de l’USPTO (Office américain des marques) bien avant
l’existence du Plaignant.
Le Plaignant a avancé divers arguments afin d’établir la prétendue mauvaise foi du Défendeur,
arguments qui ont tous été rejetés par le Panel.
Le Plaignant arguait notamment que le Défendeur aurait modifié l’usage du nom de domaine litigieux
après qu’il ait eu connaissance de l’existence du Plaignant et de ses marques. Toutefois, le Panel
considère que le Plaignant n’a pas rapporté la preuve de ses allégations.
Le Panel retient donc que le Plaignant a échoué à démontrer la mauvaise foi du Défendeur.
(d) Reverse Domain Name Hijacking (RDNH)
Par ailleurs, notons que le Défendeur invoquait que la plainte UDRP déposée par le Plaignant
constituait un cas de Reverse Domain Name Hijacking (RDNH ou « utilisation frauduleuse du nom de
domaine »).

En effet, le paragraphe 15(e) des Règles de procédure UDRP prévoit un système de défense au profit
du Défendeur dans le cas où le Plaignant agirait de mauvaise foi :
« Si après avoir examiné les soumissions le panel estimait que la plainte a été déposée de
mauvaise foi, par exemple pour l’utilisation frauduleuse du nom de domaine ou pour
harceler le titulaire du nom de domaine, le panel devra déclarer dans sa décision que la
plainte a été déposée de mauvaise foi et qu’elle constitue un abus de la procédure
administrative ».
En l’espèce, le Panel a considéré que le Plaignant, qui était représenté par un Conseil, avait déposé sa
plainte en sachant que le Défendeur avait enregistré son nom de domaine bien avant que le
Plaignant et ses marques n’existent et qu’il ne serait pas en mesure de rapporter la preuve de la
mauvaise foi du Défendeur. Le Panel va même encore plus loin en retenant que la plainte n’aurait été
déposée que pour harceler le Défendeur suite à son refus de vendre le nom de domaine.

Réflexions
Ainsi, cette décision rappelle utilement aux Plaignants qu’il ne suffit pas de détenir une marque
identique à un nom de domaine pour en obtenir le transfert à leur profit, d’autres conditions devant
être remplies.
En outre, elle met en avant un moyen de défense intéressant que pourrait être le RDNH. On peut
toutefois s’interroger sur son intérêt pratique car même si le paragraphe 15(e) des Règles de
procédure UDRP prévoit l’obligation pour le Panel de préciser l’existence du RDNH dans sa décision, il
ne prévoit en revanche aucune sanction à cet abus.
Dès lors, au-delà du fait d’être pointé du doigt pour sa mauvaise foi, le Plaignant ne prend pas de
réels risques à engager une procédure UDRP même s’il sait que celle-ci ne devrait pas aboutir
favorablement. Il peut au contraire tenter de détourner cette procédure de sa finalité initiale afin
d’essayer d’obtenir le transfert à son profit d’un nom de domaine sans avoir à en payer le juste prix.

Stéphanie BOIS