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04 décembre 2023

Action UDRP et marque non enregistrée

Certaines extensions pays de nom de domaine (ccTLD) sont régies par les Principes UDRP (Uniform Domain name dispute Resolution Policy) pour la résolution amiable des litiges les concernant. C’est notamment le cas de l’extension des Etats fédérés de Micronésie, le .fm, ce qui a donné lieu à une décision intéressante rendue par le Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI au début du mois d’octobre 2023 (Litige No. DFM2023-0001[1]).

 

Le Défendeur a enregistré le nom de domaine <gouv.fm> en mai 2023. Le nom de domaine litigieux a été utilisé pour créer 25 sous-domaines, dont <diplomatie.gouv.fm> qui renvoyait vers un site internet reprenant l’apparence du site officiel du ministère français de l’Europe et des affaires étrangères (<diplomatie.gouv.fr>).

 

Le Requérant, l’Etat français, a déposé une plainte auprès du Centre d’arbitrage et de médiation de l’OMPI le 11 juillet 2023. Il s’appuyait pour cela sur des droits de marque non enregistrés sur l’élément GOUV en combinaison avec l’extension .FR.

 

Le paragraphe 4(a)(i) des Principes UDRP[2] prévoit en effet que le nom de domaine litigieux doit être identique ou d’une similitude pouvant prêter à confusion avec « une marque commerciale ou une marque de service dans laquelle le plaignant a des droits ». Il englobe donc à la fois les marques enregistrées et non enregistrées (voir la Synthèse des avis des commissions administratives de l’OMPI sur certaines questions relatives aux Principes UDRP, troisième édition[3] (Synthèse de l’OMPI)).

 

Comme le rappelle la Commission administrative, le Requérant qui se base sur un droit de marque non enregistré aux fins d’une UDRP doit démontrer que le signe concerné « est devenu un identificateur distinctif que le public associe aux services offerts » par celui-ci, cette démonstration pouvant s’appuyer sur une série de facteurs, non exhaustifs, tels que la durée et l’étendue de l’usage, le montant des ventes sous le signe concerné ou encore le degré de connaissance réelle du public.

 

En l’espèce, le Requérant indique qu’il utilise le nom de domaine gouv.fr depuis 1995 et qu’il l’a décliné en 995 sous-domaines qui sont utilisés en fonction de l’activité de ses services, dont notamment <diplomatie.gouv.fr>. Il précise également qu’une circulaire administrative de droit français de 2012 désigne le nom de domaine <gouv.fr> « comme site officiel de l’administration française ».

 

Malgré une demande de la Commission administrative, le Requérant n’a pas fourni de preuves supplémentaires (autres que les éléments de sa plainte initiale) afin de démontrer que le signe <GOUV.FR » était devenue un « indicateur distinctif ».

 

C’est sur ce point particulier, à savoir la recevabilité de la Plainte en ce qu’elle est basée sur des droits de marque non enregistrés, que cette décision est particulièrement intéressante.

 

Dans un premier temps, la Commission administrative analyse les différentes preuves fournies par le Requérant et retient en particulier que celui-ci n’a pas démontré :

  • l’utilisation de GOUV associé à .FR, ou de <diplomatie.gouv.fr>, comme identifiant la source de ses services ;
  • la reconnaissance suffisante des signes combinés GOUV et.FR ou du signe DIPLOMATIE.GOUV.FR ;
  • de campagnes de publicité relative à ce signe ;
  • d’investissements financiers dans la création et l’utilisation de ces signes ;
  • la notoriété de ces signes par une enquête auprès du public.

 

La Commission administrative en conclut donc qu’il n’existe pas de preuve « d’une connaissance suffisante de ces signes ni de leur réelle utilisation par le Requérant comme identifiants de la source de ses services ».

 

Malgré tout, la Commission administrative va considérer que le Requérant a bien apporté la preuve de droits de marques non enregistrés ! Elle s’appuie pour cela sur la Synthèse de l’OMPI version 3.0, section 1.3, selon laquelle « Le fait qu’il soit démontré qu’un défendeur ciblait la marque du plaignant (par exemple, en fonction de la manière dont le site Web connexe est utilisé) peut étayer l’affirmation du plaignant selon laquelle sa marque a acquis de l’importance en tant qu’identifiant de source. », en combinaison avec les circonstances particulières de la procédure concernée, à savoir un long usage de ces signes et le fait que le Défendeur a « utilisé le nom de domaine litigieux comme identificateur de source des services du Requérant ».

 

Une fois cette question résolue, la Commission va classiquement vérifier si les conditions cumulatives du paragraphe 4(a) des Principes directeurs sont réunies, à savoir :

 

  • Le nom de domaine enregistré par le Défendeur est identique ou similaire au point de prêter à confusion à une marque sur laquelle le Plaignant détient des droits ;
  • Le Défendeur n’a aucun droit ou aucun intérêt légitime en lien avec le nom de domaine litigieux, et
  • Le Défendeur a enregistré et utilise le nom de domaine litigieux de mauvaise foi.

 

On peut s’interroger en l’espèce à la fois sur la stratégie, somme toute assez risquée, de l’Etat français qui a fondé son action uniquement sur un droit de marque non enregistré et sur les preuves (très limitées) qu’il a fourni en appui de son action. En effet, seule les circonstances de l’espèce ont conduit la Commission administrative à reconnaitre des droits de marque non enregistrés, celle-ci précisant opportunément que, selon elle, le fait que le Défendeur a ciblé la marque du Requérant ne doit en principe que soutenir l’allégation du Requérant selon laquelle sa marque a acquis un sens d’identificateur, ce qui signifie que cet élément ne devrait donc pas suffire à lui seul (en l’absence de preuve du Requérant) à retenir l’existence de droits de marques non enregistrés.

 

Notons que dans une précédente affaire[4] l’Etat français avait choisi de se fonder à la fois sur la marque enregistrée IMPOTS.GOUV.FR et sur une marque non enregistrée ECONOMIE.GOUV.FR, et semblerait avoir apporté davantage de preuves de droits de marque non enregistrés.

 

Ainsi, si les Principes directeurs UDRP n’exigent pas la preuve d’une marque enregistrée mais acceptent qu’une action soit fondée sur une marque non enregistrée, encore faut-il être en mesure d’apporter des éléments de nature à prouver que le signe concerné remplit bien une fonction d’identification des produits ou services rendus par le Requérant.

 

Stéphanie BOIS

[1] https://www.wipo.int/amc/en/domains/decisions/pdf/2023/dfm2023-0001.pdf

[2] https://www.icann.org/resources/pages/policy-2012-02-25-en

[3] https://www.wipo.int/amc/en/domains/search/overview3.0/

[4] https://www.wipo.int/amc/en/domains/decisions/pdf/2023/d2023-1590.pdf